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Les saisons de Mary Poésie, articles (actualité, faits divers, chroniques judiciaires), essais, écris

Le poison de l’intolérance

Marylise Retureau-Labyt

 

Devant la basilique de Notre Dame de l'Assomption à Nice
Entre épidémies et guerres de religion, le monde semble être brutalement revenu au Moyen Age. Et singulièrement la France, qui paie cher son engagement à défendre quoi qu’il arrive la liberté d’expression. Alors qu’Emmanuel Macron venait d’annoncer un reconfinement du pays pour tenter de contenir la flambée de l’épidémie de Covid-19, un terroriste tunisien armé d’un couteau a tué trois personnes jeudi matin dans la basilique Notre-Dame de Nice, ville déjà meurtrie par l’attentat au camion du 14 juillet 2016. Cette attaque a eu lieu près de quinze jours après qu’un Tchétchène de 18 ans a décapité dans les Yvelines un professeur d’histoire, Samuel Paty, qui avait montré les caricatures de Mahomet à ses élèves dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression. Contrairement à l’assassin de Samuel Paty, qui avait été abattu sur place, le tueur de Nice a été interpellé blessé mais vivant par les forces de police (lire récit pages 4 et 5). Alors qu’à Lyon, un Afghan armé d’un couteau était interpellé par la police qui le suspectait de vouloir passer à l’acte, à des milliers de kilomètres de là, un vigile du consulat français de Djedda, en Arabie Saoudite, était blessé par un Saoudien armé d’un couteau. «Nous appelons nos compatriotes en Arabie Saoudite à faire preuve d’une vigilance maximale», a aussitôt communiqué l’ambassade de France à Riyad tandis que, en Malaisie, l’ex-Premier ministre Mahathir Mohamad estimait publiquement que les musulmans «ont le droit de tuer des millions de Français» en représailles des «massacres du passé».
Ce sont donc les extrêmes qui sont aujourd’hui à l’œuvre. Témoin, un Français armé se revendiquant de la mouvance identitaire était abattu par la police à Avignon alors qu’il envisageait des représailles contre des musulmans. Et jeudi soir, une manifestation de Génération identitaire se déployait dans les rues de Nice. Cette folle spirale meurtrière s’est déclenchée en plein procès des attentats de 2015, qui a remis sur le devant de la scène les caricatures de Charlie Hebdo. Il y a cinq ans, dix-sept personnes, dont huit journalistes de Charlie Hebdo et des clients ou personnels du magasin Hyper Cacher, étaient abattues de sang-froid par trois terroristes islamistes. Ces attentats avaient alors soudé une grande partie du pays dans un même mouvement de colère et d’union. «La terreur veut nous faire plier», ont déclaré jeudi les avocats de parties civiles au procès, effarés par ce terrorisme islamiste dont «on n’entrevoit toujours pas la fin». Le verdict sera rendu le 13 novembre, cinq ans jour pour jour après les attentats jihadistes des terrasses parisiennes, du Bataclan et du Stade de France, qui avaient causé la mort de 137 personnes à Paris.
Le soutien du chef de l’Etat français au droit de publier des caricatures de Charlie Hebdo a déclenché un déchaînement de haine sur les réseaux sociaux. Et une tension extrême entre la France et la Turquie, dont le président, Recep Tayyip Erdogan, ambitionne de prendre le leadership du monde musulman.
Emmanuel Macron se retrouve donc le héraut de la liberté de penser et de s’exprimer, lui qui ne cessait de repousser, depuis son arrivée au pouvoir, son discours sur les «séparatismes». Finalement prononcé le 2 octobre, ce discours lui a permis de réitérer son attachement total à la laïcité républicaine et sa détermination à combattre l’islam radical. Jeudi, il a reçu dans cette bataille le soutien des dirigeants de l’Union européenne et du Canada. «Nous n’accepterons jamais la violence qui se cache derrière la religion car la religion est pacifique», a déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Dans la foulée, le ministre français des Affaires étrangères lançait un «message de paix au monde musulman». «La religion et la culture musulmane font partie de notre histoire française et européenne, nous la respectons», a précisé Jean-Yves Le Drian.
Le plus grand danger en effet serait de voir la France, où vit une importante communauté musulmane, se diviser sur la question de l’identité et de la religion, ouvrant un boulevard aux extrêmes, ce que cherchent précisément les islamistes. Il serait irresponsable, dans un monde instable voire inflammable, de laisser se diffuser le poison de l’intolérance, du rejet et de la haine. Tout dirigeant politique qui s’y risquerait porterait une lourde responsabilité dans la suite des événements. Après l’attentat de Nice, les représentants de l’Eglise et du culte musulman n’ont d’ailleurs pas hésité à appeler à l’union. Jeudi, le plan Vigipirate était porté au niveau «urgence attentat» sur un territoire bientôt confiné.
Alexandra Schwartzbrod pour "Libération", éditorial du 29 octobre 2020
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