L'alligator et l'écrevisse
Note de l'auteur :
"Les déménagements ont parfois leurs bons côtés. Ainsi l'autre jour, m'étant attelé à la tâche ingrate de mettre de l'ordre dans mes paperasses, ai-je fait une trouvaille inattendue : il s'agissait d'un cachier à spirale, aux pages jaunies par le temps, dans lequel figuraient quelques poèmes écrits lorsque j'étais potache. A l'époque, La Fontaine figurait au programme de la troisième et c'est la grande admiration que j'éprouvais pour notre fabuliste national qui m'amena à "commettre" quelques fables. je vous soumets l'une d'entre elles en pensant que, peut-être, elle vous amusera".
L'ALLIGATOR ET l'ECREVISSE
Méfions-nous des geignards et de leurs stratagèmes,
Nous aurions tort de prendre pour argent comptant
Les larmes et le faux repentir des méchants.
S'ils pleurent, en vérité, c'est souvent sur eux-mêmes.
La triste preuve, hélas, en fut donnée un jour.
En plein pays de cajun, près d'une riviérette,
Où un garçonnet blond, ainsi qu'une fillette,
Lançaient des bâtonnets dans l'eau,
Chacun leur tour.
Pour être le gagnant du bord tous deux s'approchent
Ignorant le danger qui les guette, sournois,
Sous les traits d'un alligator dont on ne voit
Que les yeux globuleux.
Les deux pauvres mioches, riants et sans soucis
De se mouiller les pieds, pataugent dans le ru.
Mais soudain, c'est le drame.
D'un coup de queue puissant cet animal infâme
S'est propulsé vers eux et ses crocs acérés
On happé le bambin en l'entrainant au fond.
La fillette horrifiée, heureusement pour elle,
A bondi en arrière et notre jouvencelle
A évité le sort atroce du garçon...
A quelques pas de là, une belle écrevisse,
De celles qui pullulent dans tous les bayous,
A vu dans son entier le crime du voyou
Et s'insurge devant une telle injustice.
Faut-il que Jupiter soit lâche ou négligent
Pour regarder se faire une telle infamie
Sans intervenir, sacrifier la vie
Et souffrir le supplice de ce pauvre enfant ?
Mais soudain ! Que voit-elle la haut sur la rive ?
L'alligator, repu et sur l'herbe, étalé,
Les yeux remplis de larmes et semblant atterré.
L'innocente aussitôt à ses côtés arrive
Et lui dit : - Ah vraiment, la belle affliction !
Tu aurais pu penser, en lui ôtant la vie
Que ton coeur, désormais, serait à l'infini
Hanté du souvenir de ce jeune garçon.
Au moins ton repentir est-il vraiment sincère ?
As-tu, cette fois-ci renoncé à jamais
A te conduire ainsi, à être aussi mauvais,
A être un animal détesté sur la terre ?
Tes larmes, il est vrai, plaident en ta faveur !
- Tu n'y es pas du tout, répondit le saurien.
Je pleure car vraiment, il s'en fallait d'un rien
Que, d'un seul coup de dent,
Je prisse aussi la soeur.
(Jo Tanghue - novembre 2007)
Respectez les droits d'auteur, s'il vous plait. N'affichez pas ces textes sur d'autres sites sans mon accord, merci. Créations - L.M. tous droits réservés.